Arrivée de la boiteuse, ambassadrice de Bretagne

".. Et t'avise pas de bouffer les fleurs des plates-bandes du chateau, hein ! Tu m'attends sagement, je ne devrais pas en avoir pour longtemps... Enfin, prie pour que ça aille vite, Abricot !" dis-je à mon ânon en l'attachant à un arbre à l'entrée du chateau.

Là-dessus, appuyée sur ma canne, je pénétrais de ma démarche déhanchée et peu harmonieuse, dans la cour déserte du chateau.

clac, clac, toc
clac, clac, toc
Sabot, sabot, canne
Sabot, sabot, canne

ça résonnait bien ! Enfin, quoi, y avait-il personne ici ? Entrait-on comme dans un moulin ?

Visitant de ci de là, j'arrivai finalement devant une porte contre laquelle s'était assoupi un garde.

"Pssst ! pssssst ! " lui soufflai-je à l'oreille, désolée de devoir le réveiller. "Mon brave, réveillez vous, mar plij ! Et quand ce sera fait, voudriez-vous aller prévenir que la boiteuse est arrivée ? Si on vous demande qui je suis, dites que je suis la nouvelle ambassadrice de Bretagne, je vous prie."

Problème en cave... Un attentat ! Tous les ambassadeurs et les gardes d'astreinte s'étaient rués dans le lieu où visiblement les tonneaux avaient été percés sauvagement. On colmatait les brèches pour sauver ce qui restaient de bonne bière flamande – pléonasme – mais les effluves éthyliques n'aidaient point. Ça pataugeait sec, difficilement imaginable pour le lecteur, mais on avait de la mousse jusqu'à mi-cuisse. Tout cela aurait été gaspillé si les seules émanations ne nous avaient pas rendus ivres. Le bain de bière était relaxant à n'en pas douter. Enfin, tout cela pour dire pourquoi il n'y avait personne dans la salle d'accueil des dignitaires et plénipotentiaires étrangers... Et quand tout le monde reprit sa place, Dionysos laissa sa place à Morphée. Le réveil serait brutal.

Le garde qui s'était adossé paresseusement contre le mur, avant d'y glisser jusqu'au sol naturellement, n'eut pas vraiment de chance. Ces Bretons ne savaient pas vivre. Mais il ne le savait pas encore, du moins pour gueule de bois il devint sourd comme un pot. Heureusement l'autre oreille fonctionnait encore et il avait fait un bond bruyant avec la ferraille qu'il portait sur lui. L'homme d'armes mit du temps à dévisager ce qui s'était présenté à lui... Une femme... Une femme ? Parbleu ! Une femme avait troublé son instant de plénitude la plus totale, finie la sieste. En réponse, il grogna avant de s'appuyer sur sa hallebarde pour ne pas s'affaler de son long sur les dalles froides. Puis il soupira. Oui, il soupira. Tout était un peu embrouillé dans sa tête, le protocole et tout et tout.

Bien... bienvenue *hips* en... Flandres !

Holà ! Qui *hips* vive !

Je... Norbert !

A moi ! La garde !

A remettre tout ça dans le bon ordre.

Sur ces entrefaites, le jeune ambassadeur de quart paraît et surprend un garde en train de picoler. Il n'était pas seul. Dudieu ! Par Bacchus ! Une orgie, et il n'était pas invité. Eymeri s'avança et dévisagea la femme qui était à ses côtés. Et comme si elle ne s'était pas suffisamment annoncée depuis son arrivée, le Brugeois lui demanda de se présenter comme la bienséance le voulait. Il n'était pas là depuis le début, précisons. Chuis chiant, hein ? Bref...

Je suis Eymeri Sint-Jan, enchanté. Que puis-je pour vous ?

Une partie de ma patience commençait à se défiler discrètement quand apparut un homme, sorti de nulle part.

Citation :

Je suis Eymeri Sint-Jan, enchanté. Que puis-je pour vous ?

Ben contente pour vous ! Moi, c'est Ame, ambassadrice de Bretagne, et ça fait un bon moment que j'essaie de me faire entendre. Alors je ne sais pas quelle est votre fonction ici, mais si vous avez un quelconque pouvoir, veuillez avertir que que suis là, ça me rendrait service.

Je me racle la gorge pour poursuivre.

Et si je dois encore attendre, j'aimerais qu'on m'apporte de quoi m'assoir, je vous prie. La route a été longue et ma guibolle flageolle.

Ses mains se claquèrent brusquement en écoutant les requêtes de Ame. Il appelait le service de la chancellerie pour répondre au mieux à ses désirs. Aussi interpela-t-il la valetaille chargée du confort des lieux.

Une bière fraîche pour son Excellence de Bretagne !

Quant aux sièges, il n'en manquait point dans cette pièce habituée à accueillir les dignitaires et les diplomates du monde. Sur les murs, des tapisseries racontaient l'Histoire de Flandres et de France ; les batailles qui avaient peuplé une chronologie tumultueuse, un passé glorieux s'opposant aux fastes des marchands qui commerçaient entre la Hanse et Venise comme le présentaient certaines toiles où des nefs puissantes affrontaient Neptune. D'une main il offrit le fauteuil le plus proche avant de terminer par le plus important. Avant d'aller plus loin, il fallait montrer patte blanche.

Votre lettre de créance, madame ? Que je la porte immédiatement à notre bonne Chancelière, maîtresse des lieux sous le patronage de Sainte-Catherine.

Du Dieu ! Mais voilà que la Bretonne monte sur ses grands chevaux. Comment voulez-vous rester diplomate devant cette petite souillon* sortie de nulle part. Normal qu'on demanda ici quelque titre de reconnaissance pour ne pas laisser n'importe qui pénétrer dans ces lieux réservés aux ambassadeurs et autres représentants laïcs. Mais là ça dépassait les bornes, il avait été plus que poli, confiant certes de la parole donnée en l'appelant "Excellence" et lui offrant un rafraichissement.

Oui, vous avez remarqué, on est tous du complot. C'est quand même rudement bien fait, du garde ivre au valet déférant qui vous a apporté cette bière à mon seul ordre. Mais quel serait donc notre affreux dessein ? Piéger une pauvre Bretonne qui a fait un très long chemin pour venir en Flandres, pardi ! Trêve de plaisanteries, voulez-vous ? Vous êtes ici dans une chancellerie où il n'y a pas n'importe qui, ni n'importe quoi. Et pour aller plus loin, il faudra montrer patte blanche ! Quant à ma modique personne, je suis député auprès du Maine au nom du Comte de Flandres. De plus, histoire d'aider notre bonne Chancelière, j'accueille les émissaires venus de loin. Encore faut-il me le prouver ?

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* : je m'en tiens à la fiche et à sa tenue dessus. Corrigez-moi si cela venait à être faux. Après tout elle peut très bien s'être habillée pour le coup

Confortablement assise dans le fauteuil, je reprends une gorgée du breuvage offerte, m'amusant de la drole de petite mousse toute douce sur mes lèvres et du goût un peu amer qui envahit ma cavité buccale.
Enfin, l'homme un poil piqué dans son orgueil daigne décliner sa fonction. Ah ben, c'est pas malheureux !
Quels trésors de patience est-elle obligée de déployer pour obtenir la moindre des choses !

Un large sourire satisfait s'élargit sur mon visage et fronçant mon petit nez en trompette je tends ma lettre de créance, précieux sésame pour pouvoir enfin me mettre au travail. On m'avait suffisamment faite attentre.

Voici, Excellence ! Faites en bon usage... Et ne le perdez pas en route, hein , j'en ai pas d'autre ! " finis-je dans un clin d'oeil espiègle, avant de replonger le nez dans le verre de bière, tout en songeant qu'il ne faudrait pas que mon parrain apprenne que je faisais des infidélités à notre divine prunàVampi.

Citation :

Qu’il soit su de qui de droit,

Moi, Tadeus de Montfort-Vendôme, Vice Chambellan de Bretagne, au nom de l'Excellence Thrandhuil, Chambellan du Grand Duché de Bretagne,

Nomme l'Excellence Ame, ambassadrice de Bretagne auprès du Comté des Flandres.

Sa prise de fonction est immédiate, il est désormais la voix du Grand Duché en ces terres et saura le représenter avec toute la dignité requise comme elle l'a fait jusqu'à présent.

d'al Lun 28 a viz Mae 1460

Tadeus de Montfort-Vendôme
Vice Chambellan de Bretagne
Seigneur de Torfou

Le Brugeois s'inclina poliment avant de disposer comme il se devait, muni du précieux vélin. Il la laissait là en compagnie de la valetaille chargée de répondre à ses moindres désirs... les plus basiques. Tandis qu'il cheminait vers le bureau de la Chancelière pour obtenir les clefs de l'ambassade de Bretagne. Il ressortit quelques heures plus tard, après s'être fait fouetter et violer, se frottant les fesses, lesdites clefs en main pour revenir en salle d'accueil.

Hum ! Voilà Excellence ! Bienvenue en votre ambassade !